Voici quelques brises échappées d’un petit ouvrage que je vous recommande, chaudement ! : Paroles de paresse recueillies par Michel Piquemal aux éditions Albin Michel, au milieu d’une féerie de couleurs peintes par Rémi Courgeon.
Plaisirs du cœur, du corps et des yeux.
Paresse, caresse...
* * *
et si on ne faisait rien ?
On se réveillerait dans sa chambre, un matin d’été.
On entendrait un râteau dehors, sur le gravier.
Il y aurait des rayons de soleil par les persiennes et une petite poussière blonde.
L’oreiller serait tout chaud, mais de l’autre côté on trouverait un coin d’oreiller frais.
Ça serait comme si on devenait la fraîcheur de l’oreiller, comme si on était un matin d’été.
On ne penserait pas du tout au reste de la journée.
On entendrait juste quelques voix tranquilles qui parleraient loin, à l’autre bout de la maison.
Philippe Delerm (1)
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en juillet, je ferme l’atelier et nous partons à la cabane. C’est un coin d’herbe et d’eau, à deux pas. Ma famille s’y plaît.
Le matin nous dormons.
L’après-midi, j’avance mon bateau dans une tache d’ombre et je pêche. Les heures m’échappent.
Le soir, nous dînons sous les frênes. Nos voisins les taureaux nous connaissent. Ils appuient leur cou sur les barbelés et ils nous écoutent. Nous disons des choses sans portée.
À la fin du séjour, nous ne disons plus rien.
Comme eux, nous écoutons.
Georges L. Godeau (2)
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j’étais là, sommeillant sur mon lit de paresse et je m’imaginais que tout ouvrage avait cessé.
Je m’éveillai dans le matin et trouvai mon jardin plein de merveilles et de fleurs.
Rabindranath Tagore (3)
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ne pas dire un mot de toute la journée, ne pas lire le journal, ne pas entendre la radio, ne pas écouter de commérages,
s’abandonner absolument, complètement à la paresse,
être absolument, complètement indifférent au sort du monde,
c’est la plus belle médecine qu’on puisse s’administrer.
Henry Miller (4)
* * *
limite tes désirs des choses de ce monde et vis content,
détache-toi des entraves du bien et du mal d’ici-bas,
prends la coupe et joue avec les boucles de l’aimée, car, bien vite,
tout passe... et combien de jours nous reste-t-il ?
Omar Khayyam (5)
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je ne veux pas battre le seigle,
je ne veux pas cueillir le lin
car la main qui fait vibrer l’archer
doit rester souple et belle.
Ne me grondez pas,
ne dites pas que je suis un fainéant
même si souvent je préfère avoir faim
que de jouer pour avoir du pain.
Dan Andersson (6)
* * *
l’appétit d’honneur et de louange prive l’humanité de tout repos,
mais dans la chaleur du soleil et la caresse du vent, les choses se renouvellent spontanément ;
la clarté printanière, au-delà du pouvoir des hommes, est pâle et profonde ;
dans les monts du repos sans fin se trouve un homme, seul et tranquille.
Gesshû (7)
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ainsi immobile,
assis sans rien faire,
le printemps vient
l’herbe pousse d’elle-même.
Anonyme chinois (8)
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je me tourne devant le torrent,
reflet dans le courant bleu-vert
ou face au bord des pics,
assis sur un rocher stable
le cœur ressemble au nuage isolé,
nulle part soutenu
les si lointaines affaires du monde,
pourquoi les rechercher ?
Han Shan (9)
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ah ! me répandre comme une bouse et ne plus bouger !
Samuel Beckett (10)
* * *
(1) Philippe Delerm, Surtout ne rien faire, Éd. Milan, coll Zanzibar jeunesse, 1994
(2) Georges L. Godeau, « Un coin d’herbe » in Votre vie m’intéresse, Éd. Le Dé bleu, 1985
(3) Rabindranath Tagore, « Durant plus d’un jour de paresse... » in L’Offrande lyrique, trad. André Gide, Éd. Gallimard, coll. Poésie, 1963
(4) Henry Miller, Le Colosse de Maroussi, Éd. Livre de poche GF, 1983
(5) Omar Khayyam, Les Quatrains, traduit du persan par Charles Grolleau, Éd. Gérard Lebovici, 1988
(6) Dan Andersson, Le Musicien, cité in Dictionnaire des citations, Éd. Robert, 1990
(7) Gesshû (1618-1696), cité in Stephen Addis, L’Art zen, Éd. Bordas, 1994
(8) Anonyme chinois, Les Yeux du dragon, une anthologie de la poésie chinoise, trad. Daniel Giraud, Éd. Le bois d’Orion, 1993
(9) Han Shan, idem
(10) Samuel Beckett, Tous ceux qui tombent, trad. Pinget, Éd. de Minuit, 1957
Voir aussi : 142 Éloge de la paresse affinée
Et si on ne faisait rien ?
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à 23:53