Bocas del tiempo
« Elle a une histoire à vous raconter »
UNE DAME s’est approchée, avec sa petite fille : « Elle a une histoire à vous raconter ». Mais la petite fille est si intimidée qu’elles doivent s’y mettre toutes deux pour me la raconter.
C’est à propos de cette question que se posent les enfants, qu’est-ce que la mort, pourquoi les gens meurent-ils, quelle est donc cette histoire si incompréhensible dans l’enfance, la vie adulte ou la vieillesse, que personne n’arrive à l’accepter, pas même rationnellement ?
La petite fille a cinq ans, et elle est accompagnée de sa meilleure amie, qui a sept ans. La grand-mère vient de mourir, et sa mère lui dit que ce sont les plus âgés qui partent les premiers.
Alors, cette petite de cinq ans regarde son amie de sept ans. Un long moment. Intensément. Enfin, elle lui demande : « Est-ce que tu m’attendras ? »
Les jeux du temps
ON RACONTE qu’il y avait une fois deux amis qui contemplaient un tableau. La peinture, œuvre d’on ne sait qui, venait de Chine. C’était un champ de fleurs au temps de la moisson.
L’un des deux amis, on ne sait pourquoi, avait les yeux rivés sur une femme, l’une des nombreuses femmes qui dans le tableau cueillaient des coquelicots, une corbeille au bras. Ses cheveux détachés flottaient sur ses épaules.
Elle finit par lui rendre son regard, et, laissant tomber sa corbeille, elle étendit ses bras, et l’on ne sait comment, elle l’enleva.
Il se laissa conduire on ne sait où, et il passa en compagnie de cette femme des nuits et des jours, on ne sait combien, jusqu’à ce qu’un coup de vent l’arrache et le ramène à la salle où son ami était demeuré planté devant le tableau.
Cette éternité avait été si brève que l’ami n’avait même pas remarqué son absence. Il ne remarqua pas non plus que cette femme, l’une des nombreuses femmes qui dans le tableau cueillaient des coquelicots, une corbeille au bras, portait maintenant ses cheveux noués sur la nuque.
Le bal
HÉLÈNE DANSAIT dans une boîte à musique, où les dames en crinoline et les messieurs en perruque criaient, et faisaient des révérences, et continuaient de tourner.
Ces toupies de porcelaine étaient un peu ridicules, mais sympathiques, et l’on avait plaisir à se laisser glisser avec elles dans la spirale de la musique, jusqu’à ce que dans une pirouette Hélène trébuche, tombe, et se brise.
Le coup la réveilla. Son pied gauche lui faisait très mal. Elle voulut se lever, mais elle ne put marcher. Elle avait une grosse enflure à la cheville.
— « Je suis tombée dans un autre pays — me confessa-t-elle — et dans un autre temps ».
Mais elle ne le dit pas au médecin.
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à 23:41