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168 Les 10 commandements de Ponsonby
Anne MORELLI

Anne MORELLI

Les 10 commandements de Ponsonby

Anne Morelli est une historienne belge d’origine italienne, spécialisée dans l’histoire des religions et des minorités. Docteur en histoire, elle est directrice adjointe du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), université où elle enseigne également la critique historique, les contacts de culture, l’histoire des religions et la didactique de l’histoire.

Ce texte se réfère à son livre : Principes élémentaires de propagande de guerre, Utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède..., Labor, 2001. (Voir aussi Wikipédia.)

(Source : Zalea TV)

 

Les principes de la propagande de guerre appliqués à la propagande de l’OTAN pendant la guerre contre la Yougoslavie

1 Arthur Ponsonby, Member of Parliament : Falsehood in Wartime, Propaganda Lies Of the First World War, 1928 by George Allen and Unwin.
Ce livre est intégralement reproduit sur le site de WWI Resource Centre.

Il y a près d’un siècle, un diplomate britannique qui avait pu observer de près la création d’informations hostiles à l’Allemagne dans les officines gouvernementales britanniques décrivit ces procédés de faussaires à l’œuvre pendant la Première guerre mondiale. Ce livre d’Arthur Ponsonby (1) expliqua les mécanismes élémentaires de la propagande de guerre. Ces principes ne sont cependant pas liés à la Première guerre mondiale, ils ont été appliqués lors de tous les conflits ouverts et également lors de la guerre froide. À l’occasion du récent conflit entre l’OTAN et la Yougoslavie, on a pu vérifier une fois de plus qu’ils forment la base de la guerre de l’information qui est primordiale, aujourd’hui plus encore qu’hier, pour gagner l’opinion publique à une cause.

Les principes relevés par Ponsonby peuvent être, par facilité, énoncés en 10 « commandements ». Je les énonce ici et nous verrons pour chacun d’eux dans quelle mesure ils ont été appliqués par les services de propagande de l’OTAN.

  1. Nous ne voulons pas la guerre
  2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre
  3. L’ennemi a le visage du diable (ou L’ « affreux » de service)
  4. Les buts réels de la guerre doivent être masqués sous de nobles causes
  5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités, nous commettons des bavures involontaires
  6. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes
  7. Notre cause a un caractère sacré
  8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
  9. L’ennemi utilise des armes non autorisées
  10. Ceux qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres

1. Nous ne voulons pas la guerre

Arthur Ponsonby avait déjà remarqué que les hommes d’État de tous les pays, avant de déclarer la guerre ou au moment même de cette déclaration, assuraient toujours solennellement en préliminaire qu’ils ne voulaient pas la guerre. La guerre et son cortège d’horreurs sont en effet rarement populaires a priori et il est donc de bon ton de se présenter comme épris de paix. On a entendu, lors de la guerre contre la Yougoslavie, les dirigeants de l’OTAN s’affirmer pacifistes. Si tous les chefs d’États et de gouvernements sont animés de semblables volontés de paix, on peut évidemment se demander innocemment pourquoi, parfois (souvent), des guerres éclatent tout de même. Mais le second principe de la propagande de guerre répond immédiatement à cette objection : nous avons été contraints de faire la guerre, le camp adverse a commencé, nous sommes obligés de réagir, en état de légitime défense ou pour honorer nos engagements internationaux...


2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre

Arthur Ponsonby avait relevé ce paradoxe de la Première guerre mondiale, qu’on pourrait par ailleurs sans doute retrouver dans bien des guerres antérieures : chaque camp assurait avoir été contraint de déclarer la guerre pour empêcher l’autre de mettre la planète à feu et à sang. Chaque gouvernement déclinait haut et fort l’aporie selon laquelle il faut parfois faire la guerre pour mettre fin aux guerres. Ce serait cette fois la dernière guerre, la « der. des der. ». Les bellicistes les plus acharnés s’efforcent donc de se faire passer pour des agneaux et de reporter la culpabilité du conflit sur leur ennemi. Ils réussissent le plus souvent à persuader leur opinion publique (et peut-être à s’auto-persuader) qu’ils sont en état de légitime défense. Je ne tenterai pas de sonder la pureté des intentions des uns ou des autres. Je ne cherche pas ici à savoir qui ment ou dit la vérité. Mon seul propos est d’illustrer les principes de la propagande, unanimement utilisés, et dans le cas de ce deuxième principe (« c’est l’autre qui a voulu la guerre ») il est évident qu’il a été maintes fois appliqué lors de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie. À cette occasion, les gouvernements européens, légèrement embarrassés devant leur opinion publique d’être entraînés dans un conflit à propos duquel les parlements européens n’avaient pas été consultés, malgré l’obligation constitutionnelle que cela constituait dans plusieurs pays, utilisèrent largement dans leur propagande l’argument de l’obligation dans laquelle se trouvaient les pays européens de se joindre à la guerre. Ainsi en 1999, Christian Lambert, chef de cabinet du ministre belge de la défense, répond-il à des étudiants qui lui demandent pourquoi la Belgique a participé aux bombardements contre la Yougoslavie, que c’est une obligation pour notre pays, liée à son adhésion à l’OTAN. Cette réponse est totalement classique à ce moment, mais ne correspond pas à la réalité. Il y aurait eu obligation pour les pays européens de participer à la guerre si un état de l’OTAN avait été agressé, mais ce n’était évidemment pas le cas dans la guerre de Yougoslavie. Lors de cette même guerre, le principe de « c’est lui qui a commencé » a été de fait très largement appliqué par la propagande occidentale et notamment sous une forme qu’Arthur Ponsonby avait déjà relevée : l’ennemi méprise et sous-estime notre force, nous ne pourrons plus rester attentistes, nous allons être obligés de lui montrer notre force. La propagande occidentale, en 1999 assure donc que les Yougoslaves défient l’OTAN et la poussent à répliquer par la violence. Ainsi le quotidien bruxellois Le Soir écrit-il, le 18 janvier 1999 : L’OTAN se retrouve défiée avec un cynisme stupéfiant : la première puissance armée du globe pourra-t-elle longtemps justifier son attentisme. L’OTAN assure en outre réagir à une campagne de « purification ethnique » des Serbes contre les Albanais du Kosovo. Avec le recul du temps, les expertises internationales de l’OSCE confirment cependant la thèse inverse : lorsque le 24 mars, l’OTAN commence à bombarder la Yougoslavie, Belgrade réagit par une campagne systématique de violence contre la majorité albanaise du Kosovo. Avant le 24 mars, les violences policières contre des Albanais du Kosovo n’avaient été qu’isolées, ce n’étaient nullement des « purifications ethniques ». Mais il fallait, pour convaincre l’opinion publique occidentale du bien-fondé des bombardements contre la Yougoslavie, faire croire à une situation de riposte. C’est l’ennemi qui devait porter l’entière responsabilité de la guerre et plus personnellement son chef. La guerre c’est la faute à Milosevic qui aurait par ailleurs, dans son intransigeance, refusé les propositions occidentales de paix à Rambouillet. L’hebdomadaire franco-belge Le Vif-Express titrait « Le dictateur de Belgrade a une responsabilité écrasante dans les malheurs des peuples serbe et albanais ». L’insistance sur la personne du chef du camp ennemi n’est pas un hasard. Le troisième principe de Ponsonby insiste sur la nécessité de personnifier l’ennemi dans la personne de son chef.


3. L’ennemi a le visage du diable

On ne peut haïr globalement tout un peuple. Il est donc efficace de concentrer cette haine de l’ennemi sur le leader adverse. L’ennemi aura ainsi un visage et ce visage sera évidemment odieux. On ne fera pas la guerre seulement contre les Boches, les Japs... mais plus précisément contre le Kaiser, Mussolini, Hitler, Saddam ou Milosevic. Ce personnage odieux dissimulera la diversité de la population qu’il dirige et où le simple citoyen pourrait retrouver ses alter ego. Pour affaiblir la cause adverse il faut présenter pour le moins ses chefs comme incapables et faire douter de leur fiabilité, de leur intégrité. Mais, dans toute la mesure du possible, il faut diaboliser ce leader ennemi, le présenter comme un fou, un barbare, un criminel infernal, un boucher, un perturbateur de la paix, un ennemi de l’humanité, un monstre... Et le but de la guerre serait dès lors de le capturer. Dans certains cas, ce portrait de notre ennemi peut nous sembler justifié, mais il ne faut pas perdre de vue que ce monstre est la plupart du temps très fréquentable avant le conflit et même dans certains cas après. Depuis la Seconde guerre mondiale, Hitler a été considéré comme un tel paradigme du mal, que tout chef ennemi doit lui être comparé. Ce fut bien sûr le cas de Staline, Mao ou Kim Il Sung, mais, bien plus récemment encore, tous les « affreux de service » ont également dû soutenir cette même comparaison. Il n’en sera pas autrement de Milosevic que l’hebdomadaire italien L’Espresso présente en couverture sous le titre « Hitlérosévic », avec une moitié du visage correspondant au visage de Hitler et l’autre à celle de Milosevic. Suivant la même mise en scène et au même moment, Le Vif-Express présente, lors des premiers bombardements contre la Yougoslavie, une couverture très sombre, affichant à gauche la moitié du visage de Milosevic et à droite le titre « L’effroyable Milosevic ». Dans le corps de l’hebdomadaire, au cours d’un texte appuyé de sombres et inquiétantes photos du dirigeant yougoslave, on apprendra que la capacité de nuisance de Milosevic est loin d’être épuisée. Celui qui trois ans plus tôt levait son verre avec Chirac et Clinton, lors des accords de paix à propos de la Bosnie, signés à Paris, est un névrosé dont les deux parents et même l’oncle maternel se sont suicidés, symptômes évidents d’un déséquilibre mental héréditaire... Le Vif-Express ne cite aucun discours, aucun écrit du maître de Belgrade mais par contre relève ses sautes d’humeur anormales, ses explosions de colère, maladives et brutales : Quand il était en colère, son visage se tordait. Puis, instantanément, il recouvrait son sang-froid. Son épouse est une arriviste, une ambitieuse et une déséquilibrée dont les problèmes psychologiques remontent au fait qu’elle fut reconnue tardivement par son père... Et l’hebdomadaire de conclure : Slobo et Mira ne sont pas un couple, c’est une association de malfaiteurs. La technique de diabolisation du leader ennemi est efficace et continuera sans doute longtemps à être appliquée. Il faut au lecteur et au citoyen des « bons » et des « mauvais », clairement identifiés, et le plus simpliste actuellement est de traiter l’affreux de service de nouveau Hitler. Quiconque voudrait, non pas prendre sa défense mais même douter qu’il soit l’incarnation précise du mal, est immédiatement disqualifié par cette comparaison.


4. Masquer les buts réels de la guerre sous de nobles causes

Arthur Ponsonby avait relevé pour la guerre de 14-18 qu’on ne parlait jamais, dans les textes officiels des belligérants, des objectifs économiques ou géopolitiques du conflit. Pas un mot n’était dit officiellement sur les aspirations coloniales, par exemple, que la Grande-Bretagne en attendait et qui seront exaucées lors de la victoire alliée. Officiellement, du côté des anglo-français les buts de la Première guerre mondiale se résumaient en trois points : (1) écraser le militarisme, (2) défendre les petites nations, (3) préparer le monde à la démocratie. Ces objectifs, très honorables, sont depuis recopiés quasi textuellement à la veille de chaque conflit, même s’ils ne cadrent que très peu ou absolument pas avec ses objectifs réels. Pour la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, on retrouve le même décalage entre buts officiels et inavoués du conflit. Officiellement l’OTAN intervient pour préserver le caractère multi-ethnique du Kosovo, pour empêcher que les minorités y soient maltraitées, pour y imposer la démocratie et pour en finir avec le dictateur. Il s’agit de défendre la cause sacrée des droits de l’homme. Non seulement à la fin de la guerre, on peut constater qu’aucun de ces objectifs n’a été atteint, qu’on est notamment loin d’une société multi-ethnique et que les violences contre les minorités sont quotidiennes, mais encore on se rend compte que les buts économiques et géopolitiques de la guerre, dont on n’avait jamais parlé, sont - eux - atteints. Ainsi, sans qu’elle l’ait officiellement revendiqué, la sphère d’influence de l’OTAN s’est notablement élargie dans le Sud-Est de l’Europe. L’Organisation atlantique s’est installée en Albanie, en Macédoine et au Kosovo, régions jusque là « rétives » à son installation. En outre, du point de vue économique, la Yougoslavie, « rétive » à l’installation d’une économie de marché pure et simple et qui fonctionnait encore avec un large marché public, se voit « proposer » à Rambouillet que l’économie du Kosovo fonctionne selon les principes du marché libre et soit ouverte à la libre circulation des (...) capitaux, y compris d’origine internationale. Innocemment on pourrait se demander quel rapport il peut y avoir entre la défense des minorités opprimées et la libre circulation des capitaux, mais le premier type de discours cache évidemment des buts économiques moins avouables. Ainsi 12 grosses sociétés américaines, parmi lesquelles Ford Motor, General Motors et Honeywell, sponsorisent le sommet du 50e anniversaire de l’OTAN à Washington au printemps 1999. De manière totalement désintéressée penseront certains, tandis que d’autres pensent que c’est « donnant-donnant » et que les bombardements contre la Yougoslavie en détruisant l’économie socialiste du pays, ont fait place nette aux multinationales qui rêvaient depuis longtemps d’y installer un grand chantier et d’y faire de bonnes affaires. Le porte-parole de l’OTAN, Jamie Shea, annonça par ailleurs que le coût de l’opération militaire contre la Yougoslavie serait largement compensé par les bénéfices à plus long terme que les marchés pourraient y réaliser. Dès le 3 septembre 1999 le deutsche mark devient en tout cas la monnaie officielle au Kosovo et l’usine d’automobiles Zastava à Kragujevac, que j’avais vue en mai, détruite par la frappe de l’OTAN du 9 avril, est dès le mois de juillet convoitée par Daewoo. Les buts réels de la guerre n’étaient peut-être donc pas totalement humanitaires, mais l’essentiel est de l’avoir fait croire au moment du déclenchement des opérations lorsque l’opinion publique doutait du bien fondé de cette attaque. On l’a persuadée qu’on allait intervenir contre des « bandits », des « criminels », des « assassins ». C’est aussi là un des principes élémentaires de la propagande de guerre : il faut présenter la guerre comme le conflit entre la civilisation et la barbarie. Pour cela il faut persuader l’opinion que l’ennemi commet systématiquement et volontairement des atrocités, tandis que notre camp ne peut commettre que des bavures bien involontaires.


5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités, si nous commettons des bavures c’est involontairement

Les récits d’atrocités commises par l’ennemi constituent un élément essentiel de la propagande de guerre. Cela ne veut évidemment pas dire que des atrocités n’ont pas lieu pendant les guerres. Tout au contraire, les assassinats, les vols à main armée, les incendies, les pillages et les viols semblent plutôt être hélas la monnaie courante de toutes les circonstances de guerre et la pratique de toutes les armées, depuis celles de l’Antiquité jusqu’aux guerres du XXe siècle. Ce qui par contre est spécifique à la propagande de guerre c’est de faire croire que seul l’ennemi est coutumier de ces faits tandis que notre propre armée est au service de la population, même ennemie, et aimée d’elle. La criminalité déviante devient le symbole de l’armée ennemie, composée essentiellement de brigands sans foi ni loi. Pendant la Première guerre mondiale, les Allemands accusaient des pires atrocités les « francs-tireurs » belges et français qui, bafouant les lois de la guerre auraient traîtreusement attaqué les soldats allemands et les auraient trompés par leurs ruses, comme par exemple en leur offrant du café à la strychnine ! Du côté belge et anglo-français circulait avec insistance la rumeur selon laquelle les Allemands avaient systématiquement coupé les mains des bébés belges. En outre la frayeur de la population belge, suite à ces rumeurs, déclencha un exode de réfugiés sans précédent. Un million trois cent mille Belges quittèrent leurs foyers au moment de l’invasion allemande de 1914. Cet exode des « pauvres réfugiés belges » et l’épisode imaginaire des bébés belges aux mains coupées furent utilisés à fond par la propagande alliée pour faire entrer dans son camp des pays hésitants, tels que l’Italie. Lors de la guerre contre la Yougoslavie la technique de propagande est évidemment semblable. Avant le déclenchement des bombardements William Walker fait circuler la nouvelle que la police yougoslave aurait massacré des civils à Racak en janvier 1999 et on annonce officiellement dans les médias occidentaux que les Serbes pratiquent au Kosovo une purification ethnique systématique. Les chiffres cités à l’époque parlent de 500.000 victimes du « génocide », pour la plupart enterrées à la sauvette dans des charniers. Des commentateurs suggèrent même que des corps ont pu être brûlés dans d’anciens sites industriels, ce qui ne manque évidemment pas d’évoquer les crématoires nazis. On sait aujourd’hui qu’à Racak ce sont les troupes de l’UCK (et non des civils) qui avaient été décimées, les troupes françaises ont finalement infirmé l’hypothèse des crémations dans des cuves industrielles et, après de longues et minutieuses recherches, les légistes espagnols ont estimé le nombre de tués au Kosovo à 2500 maximum, des deux camps et y compris les décès particuliers dont on ne peut accuser personne. Même l’hebdomadaire américain Newsweek titrera après la fin des bombardements Mathématiques macabres : le décompte des atrocités diminue. Mais peu importe à ce moment-là puisque la guerre est terminée. Les mensonges officiels ont mobilisé l’opinion publique au bon moment pour avoir son assentiment et on peut en revenir à des évaluations plus sérieuses. En automne 1999 il est aussi possible à des journalistes occidentaux d’expliquer comment ils ont été manipulés par des agents de l’UCK pour diffuser sur les chaînes de télévision des témoignages « bidon ». Ainsi la journaliste Nancy Durham, travaillant pour la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), dont l’émouvant reportage sur l’assassinat d’une fillette albanaise de 8 ans, avec le témoignage de sa grande sœur, montré sur plus de dix chaînes, révèlera avoir été trompée par ses informateurs albanais, mais se voit refuser un rectificatif démontant le mensonge. Quant aux charniers et aux camps de concentration, les termes semblent a posteriori bien inadaptés à la réalité. Il y a évidemment eu, au printemps 1999, meurtres, pillages, tortures et incendies de maisons albanaises, mais on « oublie » de mettre en évidence avec la même acuité les mêmes atrocités commises à partir de l’été sur des Serbes, Bosniaques, Roms et autres personnes non Albanaises. Leur exode sera passé sous silence alors que les images de réfugiés albanais du Kosovo et leur accueil à l’étranger avaient fait l’objet d’émissions complètes à la télévision. C’est que ce cinquième principe de la propagande de guerre veut que seul l’ennemi commette des atrocités, notre camp ne peut commettre que des « erreurs ». La propagande de l’OTAN popularisera à l’occasion de la guerre contre la Yougoslavie le terme de « dégâts collatéraux » et présentera comme tels les bombardements de populations civiles et d’hôpitaux, qui auraient fait, selon les sources, entre 1200 et 5000 victimes. « Erreur » donc que le bombardement de l’ambassade chinoise, d’un convoi de réfugiés albanais, ou d’un train passant sur un pont. L’ennemi, lui, ne commet pas d’erreurs, mais commet le mal sciemment. Il sera de bon ton, en outre, pour soutenir le moral des troupes et de l’opinion publique, d’affirmer que l’ennemi connaît des pertes énormes tandis que les nôtres sont inexistantes ou minimes.


6. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes

Lors de la bataille d’Angleterre, en 1940, les Britanniques ont largement « surestimé » le nombre d’avions allemands abattus par leur chasse et leur D.C.A. Les nazis par contre, ont tenté le plus longtemps possible de maquiller leur défaite sur le front de l’Est et proclamaient des pertes retentissantes pour les Soviétiques sans évoquer évidemment les leurs. Pour la guerre contre la Yougoslavie également, cette vieille tactique fut utilisée. L’Occident assurait avoir des pertes nulles dans son camp et infliger des pertes militaires énormes à l’armée yougoslave. Ainsi, pour justifier l’utilité des frappes, la propagande occidentale parlait de centaines de tanks yougoslaves mis hors combat. Un an après la guerre, Newsweek put avouer que seuls quatorze tanks yougoslaves avaient été touchés par les frappes aériennes de 1999...


7. Notre cause a un caractère sacré

L’appui de Dieu à une cause est toujours un atout important et depuis que les religions existent, on s’est allègrement entretués au nom de Dieu. La propagande de guerre doit évidemment faire croire à son opinion publique que « Dieu est à nos côtés » ou, tout au moins, des ecclésiastiques doivent apporter leur caution à la guerre en la déclarant « juste ». Souvenons-nous que le bon Saint Bernard exhortait les chevaliers du Christ à travailler pour le Christ en tuant des infidèles... « Got mit uns » affichaient les soldats allemands de la Première guerre mondiale sur leur ceinturon. À ce slogan répondait le « God save the King », anglais, tandis que le cardinal primat de Belgique, le cardinal Mercier, dans sa lettre pastorale « Patriotisme et endurance », n’hésitait pas à proclamer que les soldats belges, mourant dans le combat contre l’Allemagne, rachetaient leur âme et s’assuraient une place au paradis. Dans la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, si des évêques français et américains se sont élévés contre l’emploi de la force, d’autres, par contre, ont justifié les bombardements. Ainsi, Mgr Jacques Delaporte, archevêque de Cambrai et président de la commission Justice et Paix de l’épiscopat français approuvait dans les colonnes du Monde les frappes aériennes comme une action éthiquement nécessaire, tandis que l’archevêque de Prague, Miloslav Vlik justifiait l’intervention de l’OTAN en s’appuyant sur la doctrine de l’Église : La communauté internationale n’est pas seulement autorisée mais également obligée d’empêcher l’assassinat des Kosovars et de leur restituer le droit au retour dans leur patrie. De telles prises de position légitimaient évidemment auprès de l’opinion publique occidentale la « régularité » du recours à la violence contre la Yougoslavie.


8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause

Lors de la Première guerre mondiale, sauf quelques rares exceptions, les intellectuels soutinrent massivement leur propre camp. Chaque belligérant pouvait largement compter sur l’appui des peintres, des poètes, des musiciens qui soutenaient, par des initiatives dans leur domaine, la cause de leur pays. En Grande-Bretagne, le King Albert’s book réunit l’œuvre de propagande de peintres et graveurs qui « lancent » l’image glorieuse du Roi Albert, roi chevalier. En France, les caricaturistes Poulbot et Roubille mettent leur talent au service de la Patrie. En Belgique, les artistes Ost et Raemaekers se spécialisent dans la confection d’images tragiques évoquant le martyr des réfugiés belges ou l’image héroïque de la Patrie. En Italie c’est le poète Gabriele d’Annunzio qui sera le chantre de l’action. En Allemagne, en octobre 1914, 93 intellectuels, dont le physicien Max Planck, le prix Nobel et philologue von Willamovitz, l’historien G. von Harnack et de nombreux professeurs de théologie catholique, signent un manifeste de soutien à la cause de leur pays et à l’honneur de leur armée, victime selon ce manifeste, d’odieuses calomnies. Pour la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, il ne s’agit plus guère évidemment de composer de jolies musiques héroïques ou de réaliser des dessins émouvants. Mais les caricaturistes sont largement mis au travail, pour justifier la guerre et dépeindre le « boucher » et ses atrocités, tandis que d’autres artistes vont travailler, caméra au poing, pour produire des documents édifiants sur les réfugiés, toujours soigneusement pris dans les rangs albanais, et choisis les plus ressemblants possible par rapport au public auquel ils s’adressent, comme ce bel enfant blond au regard nostalgique, sensé évoquer les victimes albanaises. La quasi-totalité des intellectuels français suivront la position officielle de leur gouvernement par des articles de soutien dans la presse et des interventions dans les médias. C’est le cas - évidemment - du « philosophe » Bernard-Henri Lévy, intervenant pendant toute la guerre sur les diverses chaînes de radio française et dans le journal Le Monde pour justifier les bombardements contre la Yougoslavie. Mais bien d’autres « intellectuels » français (Pascal Bruckner, Zbigniew Brzezinski, Didier Daeninckx, Jean Daniel, André Glucksmann, Philippe Herzog, le géographe Yves Lacoste...) se signaleront par la même servilité politique.


9. L’ennemi utilise des armes non autorisées

Rien de tel, dans la propagande de guerre, que d’affirmer la fourberie de l’ennemi en assurant qu’il se bat avec des armes « immorales » et condamnables. Même si l’idée de base est absurde, il y aurait donc une manière « noble » de faire la guerre au moyen d’armes « chevaleresques », c’est la nôtre évidemment, et par ailleurs une manière barbare de faire la guerre avec des armes « sauvages », celle de notre ennemi. Pendant la Première guerre mondiale la controverse est vive pour savoir qui, de la France ou de l’Allemagne, a commencé à utiliser les gaz asphyxiants. Chaque belligérant reporte sur l’ennemi la triste priorité de cet usage, assurant que lui-même n’a fait que « copier » ses armes par obligation. Le 1er septembre 1939, lors de son discours au Reichstag annonçant de fait l’invasion de la Pologne, Hitler lui-même assure avoir des préoccupations humanitaires en matière d’usage des armes. Il aurait essayé de limiter des armements, de supprimer certaines armes, d’exclure certaines méthodes de guerre qu’il considérait comme incompatibles avec le droit des gens. Lors de la guerre de Corée c’est le camp communiste qui accuse les États-Unis de mener une guerre bactériologique, qui est loin d’être prouvée. Pendant la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie ce vieux principe de la propagande de guerre, relevé par Ponsonby, va être réutilisé. En effet, alors que les Yougoslaves révèlent en juin 1999 l’usage par l’OTAN d’armes à uranium appauvri, aux conséquences humaines et écologiques incommensurables, il ne faudra pas attendre longtemps la riposte. Dès le mois d’août 1999 les médias occidentaux assurent que les Yougoslaves auraient utilisé des armes chimiques au Kosovo, transgressant par là les règles de la guerre « civilisée »...


10. Ceux qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres

Le dernier principe de Ponsonby veut que ceux qui ne participent pas à la propagande officielle soient mis au ban de la société et soupçonnés d’intelligence avec l’ennemi. Pendant la Première guerre mondiale, les pacifistes de tous pays ont déjà appris à leurs dépens qu’il n’était pas de neutralité possible en temps de guerre. Celui qui n’est pas avec nous est contre nous. Toute tentative de mettre en doute les récits des services de propagande est condamnée sur l’heure comme un manque de patriotisme ou mieux une trahison. Lors de la guerre contre la Yougoslavie le même scénario s’est déroulé en Occident. La tactique médiatique de l’OTAN a été de produire chaque jour des informations reprises en chœur par les journalistes-soldats. Les contradicteurs gênants étaient systématiquement écartés, sauf de quelques tribunes libres peu suivies, servant d’alibi pour montrer le pluralisme de l’information. Lors de l’annonce du « génocide » des Albanais du Kosovo, par exemple, quiconque émettait quelques doutes sur l’ampleur de ce phénomène se faisait traiter de « révisionniste », terme lourd de signification puisqu’il sert généralement à désigner ceux qui nient que le nazisme ait organisé l’extermination systématique des Juifs. En France, c’est l’affaire Régis Debray qui cristallisera les passions. De retour du Kosovo, Debray avait contesté, dans une lettre au président de la République Jacques Chirac, la réalité de l’ « épuration ethnique » au Kosovo. Aussitôt les médias, entraînés par Bernard-Henri Lévy, auteur - dès le lendemain de la publication - d’une réponse intitulée « Adieu Régis Debray » organisèrent son lynchage public. Daniel Schneidermann écrit que Debray « gifle à distance les réfugiés », Pierre Georges le traite de « faux journaliste », « porteur de ses préjugés », « ridicule de naïveté » et assure qu’il a accumulé les « erreurs élémentaires » et produit « un récit parcellaire et totalement contestable ». Alain Joxe, le taxera de « crétin international », rallié aux thèses de Milosevic et complice du régime fascisant serbe contre lequel l’U.C.K. se bat « pratiquement sans armes ». On rappelle fort habilement à ce moment que Régis Debray est un ancien compagnon de Che Guevara. Ajoutée à l’assimilation aux révisionnistes, l’accusation d’être un traître rouge-brun se précise. Car, en temps de guerre, poser des questions est déjà hérétique. L’hebdomadaire L’Evénement n’hésitera pas à dénoncer publiquement à l’opprobre ceux qu’il dénonce comme « Les complices de Milosevic » et dont il publie la photo. Dans ce camp des « traîtres », on retrouvera pêle-mêle l’historien Max Gallo, l’abbé Pierre, Monseigneur Gaillot, le général Gallois, le cinéaste Carlos Saura, le chanteur Renaud, le dramaturge Harold Pinter ou le sociologue Pierre Bourdieu. Pour s’être montrés méfiants face à la propagande officielle, ils sont accusés par l’hebdomadaire parisien d’avoir « choisi de brandir l’étendard grand-serbe », d’être passés à l’ennemi.

 

Conclusion

Comme on le voit par ces exemples, les dix « commandements » de la propagande de guerre qu’on trouve décrits par Ponsonby n’ont rien perdu, en presque un siècle, de leur pertinence. Ont-ils été appliqués intuitivement par les responsables de la propagande de l’OTAN ou en suivant la grille que nous avons nous-mêmes suivie ? Il est toujours risqué de penser que la propagande est bâtie par une mise en scène systématique suivant un plan minutieux et on aurait plutôt tendance à croire que le hasard des improvisations a croisé les vieux principes de Ponsonby.

Il ne faut cependant pas oublier que le porte-parole de l’Otan, qui a orchestré toute la propagande de la guerre contre la Yougoslavie, est Jamie Shea. Jamie Shea n’est pas un militaire inculte. Diplômé du Lincoln College d’Oxford, il a justement réalisé comme travail de fin d’études une thèse sur le rôle des intellectuels dans la Première guerre mondiale ! Son acharnement académique a été couronné par une situation socialement enviable à la tête des services de propagande de l’OTAN. Il n’est donc pas téméraire non plus d’imaginer que Jamie Shea a appris, comme le font chaque année mes étudiants des cours de Critique historique, les principes de base de la propagande de guerre et qu’il les a soigneusement et systématiquement appliqués dans la campagne de propagande qu’on lui a demandé d’orchestrer.


happy   dans   Assauts    Samedi 25 Juillet 2009, 07:26

 



Quau canto,
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D’ici et d’ailleurs Qui chante son mal,
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Merci à Mephisto Lessiveur pour les images