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192 Kimiko
Lafcadio Hearn

Source : Project Gutenberg
Traduction : Happy


Lafcadio Hearn (Koizumi Yakumo 小泉八雲)
(1850-1904)

KOKORO
Évocations et Échos de la Vie Intérieure Japonaise (1896)
(Hints and Echoes of Japanese Inner Life)

Kimiko

 

Wasuraruru
Mi naran to omô
Kokoro koso
Wasuré nu yori mo
Omoi nari-keré.
 (1)

 

I

LE NOM est sur une lanterne de papier à l’entrée d’une maison dans la Rue des Geisha.

Vue de nuit, la rue est l’une des plus bizarres au monde. Elle est étroite comme un couloir ; et les brillantes boiseries foncées des façades, toutes bien fermées, — ayant chacune une petite porte coulissante avec des vitres de papier qui ressemblent tout à fait à du verre dépoli, — vous font penser à des cabines pour passagers de première classe. En réalité, les bâtiments ont plusieurs étages ; mais vous ne le remarquez pas tout de suite, — surtout s’il n’y a pas de lune, — parce que seuls les étages inférieurs sont éclairés jusqu’à leurs auvents, au-dessus desquels tout est ténèbres. L’éclairage est fait par des lampes disposées derrière les étroites portes aux vitres de papier, et par des lanternes de papier suspendues à l’extérieur, — une à chaque porte. Votre regard parcourt la rue entre deux lignes de ces lanternes, — lignes qui convergent dans le lointain en une seule barre immobile de lumière jaune. Certaines des lanternes sont en forme d’œuf, certaines cylindriques ; d’autres sont à quatre ou six faces ; et elles sont ornées de magnifiques caractères japonais. La rue est très calme, — silencieuse comme une galerie d’ébénisteries dans une grande exposition après l’heure de la fermeture. Ceci parce que les occupants sont sortis pour la plupart, — pour assister à des banquets ou à d’autres festivités. Leur vie, c’est la nuit.

La légende sur la première lanterne à gauche quand vous allez vers le sud est « Kinoya : uchi O-Kata » et cela signifie la Maison d’Or où O-Kata habite. La lanterne de droite parle de la Maison de Nishimura, et d’une fille Miyotsuru, — dont le nom signifie la Cigogne à l’Existence Magnifique. Ensuite sur la gauche vient la Maison de Kajita ; — et dans cette maison il y a Kohana, le Bouton de Fleur, et Hinako, dont le visage est joli comme le visage d’une poupée. En face, c’est la Maison Nagaye, où vivent Kimika et Kimiko. . . . Et cette double litanie lumineuse de noms est longue d’un demi-mile.

L’inscription sur la lanterne de la dernière maison nommée révèle la relation entre Kimika et Kimiko, — et quelque chose de plus encore ; car Kimiko est stylisé Ni-dai-me, un titre honorifique intraduisible qui signifie qu’elle est seulement Kimiko No. 2. Kimika est le professeur et la maîtresse : elle a éduqué deux geisha, toutes deux nommées, ou plutôt renommées par elle, Kimiko ; et cette utilisation du même nom par deux fois est la preuve positive que la première Kimiko — Ichi-dai-me — a dû être honorée. L’appellation professionnelle portée par une geisha qui n’a pas eu de chance ou de succès n’est jamais donnée à celle qui prend sa suite.

Si jamais vous deviez avoir de bonnes et suffisantes raisons d’entrer dans la maison, — en poussant cette lanterne coulissante de porte qui fait résonner un gong pour annoncer les visites, — vous pourriez peut-être voir Kimika, à condition que sa petite troupe ne soit pas engagée pour la soirée. Vous trouveriez qu’elle est une personne très intelligente, et digne qu’on lui parle. Elle peut conter, quand il lui plaît, les histoires les plus remarquables, — des histoires réelles de chair et de sang, — des histoires vraies sur la nature humaine. Car la Rue des Geisha est pleine de traditions, — tragiques, comiques, mélodramatiques ; — chaque maison a ses souvenirs ; — et Kimika les connaît toutes. Certaines sont vraiment, vraiment terribles ; et certaines vous feraient rire ; et certaines vous donneraient à penser. L’histoire de la première Kimiko appartient à la dernière catégorie. Ce n’est pas l’une des plus extraordinaires ; mais c’est l’une des moins difficiles à comprendre pour les gens de l’Ouest.

 

II

Il n’y a plus d’Ichi-dai-me Kimiko : elle n’est qu’un souvenir. Kimika était très jeune quand elle appelait cette Kimiko sa sœur dans la profession.

« Une jeune fille excessivement belle », c’est ce que Kimika dit de Kimiko. Pour gagner quelque renom dans sa profession, une geisha doit être jolie ou très habile ; et les geisha célèbres sont généralement les deux, — ayant été sélectionnées à un âge très précoce par leurs professeurs sur la promesse de telles qualités. Même la classe plus commune des chanteuses doit avoir du charme dans ses meilleures années, — ne serait-ce que cette beauté du diable qui a inspiré le proverbe japonais que même un diable est joli à dix-huit ans. [2] Mais Kimiko était beaucoup plus que jolie. Elle incarnait l’idéal japonais de la beauté ; et cette norme n’est pas satisfaite par une femme sur cent mille. Elle était aussi plus qu’habile : elle était accomplie. Elle composait des poèmes très délicats, — elle pouvait arranger les fleurs d’exquise manière, célébrer les cérémonies du thé sans commettre de faute, broder, faire de la mosaïque de soie : en un mot, elle était distinguée. Et sa première apparition en public mit en émoi le monde effervescent de Kyôto. Il était évident qu’elle pourrait faire presque toutes les conquêtes qui lui plairaient, et que sa fortune la précédait.

Mais il devint vite évident, aussi, qu’elle avait été parfaitement formée à sa profession. Elle avait appris à se conduire dans presque toutes les circonstances possibles ; car de ce qu’elle aurait pu ne pas savoir, Kimika savait tout : le pouvoir de la beauté, et la faiblesse de la passion ; l’art des promesses et la valeur de l’indifférence ; et toute la folie et le mal qu’il y a dans le cœur des hommes. Donc, Kimiko fit peu d’erreurs et versa peu de larmes. Bientôt elle se montra, comme le souhait Kimika, — légèrement dangereuse. Ainsi que l’est une lampe envers les papillons de nuit : sinon, certains d’entre eux l’éteindraient. Le devoir de la lampe est de rendre visibles les choses agréables : elle n’a pas de malice. Kimiko n’avait pas de malice, et n’était pas trop dangereuse. Des parents inquiets découvrirent qu’elle ne voulait pas entrer dans des familles respectables, ni même se prêter à des histoires d’amour sérieuses. Mais elle ne fut pas particulièrement indulgente à l’égard de cette catégorie de jeunes qui signent les documents de leur propre sang, et demandent à une danseuse de couper l’extrémité de l’auriculaire de sa main gauche en gage d’éternelle affection. Elle fut assez maligne avec eux pour les guérir de leur folie. Des gens riches qui lui offrirent des terres et des maisons, à condition de la posséder corps et âme, la trouvèrent moins indulgente. Quelqu’un se montra assez généreux pour racheter sa liberté sans condition, à un prix qui faisait de Kimika une femme riche ; et Kimiko lui en fut reconnaissante, — mais elle resta geisha. Elle maniait ses rebuffades avec beaucoup trop de tact pour susciter la haine, et savait comment guérir les désespoirs dans la plupart des cas. Il y eut des exceptions, bien sûr. Un vieil homme, qui pensait que la vie n’était pas digne d’être vécue s’il ne pouvait obtenir Kimiko pour lui tout seul, l’invita un soir à un banquet, et lui demanda de boire du vin avec lui. Mais Kimika, habituée à lire sur les visages, substitua habilement du thé (qui a exactement la même couleur) au vin de Kimiko, et sauva ainsi grâce à son instinct la précieuse vie de la jeune fille, — car seulement dix minutes plus tard, l’âme de l’hôte stupide se retrouva seule sur le chemin du Meido, et sans aucun doute extrêmement déçue. [3] . . . Après cette nuit-là Kimika veilla sur Kimiko comme un chat sauvage protège son chaton.

Le chaton devint une manie à la mode, un engouement, — un délire, — l’une des grandes curiosités et sensations de l’époque. Il y a un prince étranger qui se souvient de son nom : il lui envoya en présent des diamants qu’elle ne porta jamais. Elle reçut une multitude d’autres présents de tous ceux qui pouvaient se permettre le luxe de lui plaire ; et d’être dans ses bonnes grâces, même pour un jour, était l’ambition de la « jeunesse dorée. » Néanmoins, elle ne laissa personne s’imaginer être un favori particulier, et refusa de conclure aucun contrat d’affection perpétuelle. À toute protestation sur le sujet, elle répondait qu’elle savait quelle était sa place. Même les femmes respectables ne parlaient pas d’elle en mal, — parce que son nom ne figura jamais dans aucune histoire de malheur d’une famille. Elle garda vraiment sa place. Le temps semblait lui faire plus de charme. D’autres geisha grandirent en célébrité, mais aucune ne fut mise au même rang qu’elle. Certains fabricants obtinrent le droit exclusif d’utiliser sa photo en guise de label ; et ce label fit la fortune de l’entreprise.

 

Mais un jour, la nouvelle surprenante courut que Kimiko avait enfin montré un cœur très tendre. Elle avait effectivement dit au revoir à Kimika, et s’en était allée avec quelqu’un capable de lui donner toutes les jolies robes qu’elle pourrait souhaiter, — quelqu’un impatient de lui donner aussi une position sociale, et de réduire au silence les potins sur son méchant passé, — quelqu’un prêt à mourir pour elle plus de dix fois, et déjà à-demi mort d’amour pour elle. Kimika dit qu’un fou avait tenté de se suicider à cause de Kimiko, et que Kimiko avait eu pitié de lui, et l’avait guéri de sa folie. Taiko Hideyoshi avait dit qu’il n’y avait que deux choses en ce monde qu’il craignait, — un fou et une nuit sombre. Kimika avait toujours eu peur des fous ; et un fou avait emmené Kimiko. Et elle ajouta, avec des larmes qui n’étaient pas désintéressées, que Kimiko ne lui reviendrait jamais : c’était un cas d’amour réciproque susceptible de durer pendant plusieurs existences.

Néanmoins, Kimika n’avait qu’à moitié raison. Elle était très fine en effet ; mais elle n’avait jamais pu voir dans certaines chambres privées de l’âme de Kimiko. Si elle avait pu y voir, elle aurait crié d’étonnement.

 

III

Kimiko différait des autres geisha par la noblesse de son sang. Avant de prendre un nom pour sa profession, elle s’appelait Aï, nom qui, écrit avec le caractère approprié, signifie amour. Écrit avec un autre caractère de même son, il signifie douleur. L’histoire de Aï était à la fois une histoire de douleur et d’amour.

Elle avait été bien élevée. Enfant, on l’avait envoyée dans une école privée tenue par un vieux samouraï, — où les petites filles s’accroupissaient sur des coussins devant de petites tables à écrire hautes de douze pouces, et où les professeurs enseignaient sans salaire. Ces jours-ci où les enseignants obtiennent de meilleurs salaires que les fonctionnaires du service public, l’enseignement est loin d’être aussi honnête et aussi agréable qu’il était. Un serviteur accompagnait toujours l’enfant de la maison à l’école et au retour, portant ses livres, sa boîte d’écriture, son coussin à genoux, et sa petite table.

Ensuite elle fréquenta une école publique élémentaire. Les premiers livres de textes « modernes » venaient juste de paraître, — contenant des traductions en japonais d’histoires anglaises, allemandes, et françaises sur l’honneur et le devoir et l’héroïsme, excellemment choisies, et illustrées de minuscules photos innocentes d’Occidentaux dans des costumes qui n’appartinrent jamais à ce monde. Ces chers et pathétiques petits livres de textes sont maintenant des curiosités : ils ont depuis longtemps été remplacés par des compilations prétentieuses éditées avec beaucoup moins d’amour et de sensibilité. Aï apprit bien. Une fois par an, au moment des examens, un haut fonctionnaire visitait l’école, et parlait aux enfants comme s’ils étaient tous les siens, et il caressait chaque tête soyeuse en distribuant les prix. Il est maintenant un homme d’État en retraite, et il a sans doute oublié Aï ; — et dans les écoles d’aujourd’hui, personne ne câline les petites filles, ou ne leur donne des prix.

Puis vinrent les changements de la reconstruction par lesquels les familles de rang furent réduites à l’obscurité et la pauvreté ; et Aï dut quitter l’école. Beaucoup de grands chagrins ont suivi, jusqu’à ce qu’il ne lui reste que sa mère et une sœur en bas âge. La mère et Aï ne pouvaient guère que tisser, et avec le seul tissage elles ne pouvaient pas gagner assez pour vivre. La maison et les terres en premier, — puis, article par article, toutes les choses non nécessaires à l’existence — héritages, bijoux, robes de prix, ouvrages de laque incrustés — passèrent à un prix avantageux à ceux que la misère enrichit, et dont la richesse est appelée par le peuple Namida no kane, — « l’Argent des Larmes ». L’aide des vivants fut peu abondante, — car la plupart des familles de samouraïs parentes étaient dans la même détresse. Mais quand il n’y eut plus rien à vendre, — pas même les petits livres d’école de Aï, — on sollicita l’aide des morts.

Car on se souvint que le père du père de Aï avait été enterré avec son épée, don reçu d’un daimyô ; et que les fixations de l’arme étaient d’or. Donc, la tombe fut ouverte, et la grande poignée d’une curieuse facture échangée contre une poignée commune, et les ornements du fourreau laqué enlevés. Mais on ne prit pas la bonne lame, parce que le guerrier pourrait en avoir besoin. Aï vit son visage alors qu’il était assis debout dans la grande urne d’argile rouge qui servait de cercueil aux samouraïs de haut rang lorsqu’on les enterrait selon l’ancien rite. Ses traits étaient encore reconnaissables après toutes ces années de sépulture ; et il sembla donner gravement un signe d’assentiment à ce qui avait été fait quand on lui rendit son épée.

Finalement, la mère de Aï devint trop faible et trop malade pour travailler au métier à tisser ; et l’or du mort avait été dépensé. Aï dit : — « Mère, je sais qu’il n’y a qu’une chose à faire maintenant. Permettez-moi d’être vendue aux danseuses. » La mère pleura, et ne fit aucune réponse. Aï ne pleura pas, mais sortit seule.

Elle se souvenait qu’en d’autres jours, lorsque des banquets étaient donnés dans la maison de son père, et que des danseuses servaient le vin, une geisha libre nommée Kimika l’avait souvent câlinée. Elle alla droit à la maison de Kimika. « Je veux que vous m’achetiez », dit Aï, — « et je veux beaucoup d’argent. » Kimika rit, et la cajola, et la fit manger, et entendit son histoire, — qui fut racontée bravement, sans une larme. « Mon enfant », dit Kimika « je ne peux pas vous donner beaucoup d’argent ; car je n’en ai que très peu. Mais voici ce que je peux faire : — je peux promettre de soutenir votre mère. Ce sera mieux que de lui donner beaucoup d’argent pour vous, — parce que votre mère, mon enfant, a été une grande dame, et ne peut donc pas savoir comment utiliser astucieusement l’argent. Demandez à votre honorée mère de signer l’engagement, — promettant que vous allez rester avec moi jusqu’à ce que vous ayez vingt-quatre ans, ou jusqu’à ce que vous puissiez me rembourser. Et ce que j’ai d’argent disponible maintenant, emportez-le chez vous comme un don gratuit. »

Ainsi, Aï devint geisha ; et Kimika la renomma Kimiko, et honora l’engagement de soutenir la mère et la petite sœur. La mère mourut avant que Kimiko ne devînt célèbre ; la petite sœur fut mise à l’école. Ensuite les choses déjà racontées se produisirent.

 

Le jeune homme qui avait voulu mourir pour l’amour d’une danseuse était digne des meilleures choses. Il était fils unique et ses parents, riches et titrés, étaient disposés à tous les sacrifices pour lui, — même celui d’accepter une geisha pour belle-fille. En outre, ils n’étaient pas tout à fait mécontents de Kimiko, en raison de sa sympathie pour leur garçon.

Avant de s’en aller, Kimiko assista au mariage de sa jeune sœur, Umé, qui venait de terminer l’école. Elle était gentille et jolie. C’est Kimiko qui les avait mis ensemble, et elle avait utilisé sa redoutable connaissance des hommes pour ce faire. Elle choisit un marchand très simple, honnête, vieux style, — un homme qui ne pourrait pas être mauvais, même s’il le voulait. Umé ne remit pas en question la sagesse du choix de sa sœur, que le temps révéla heureux.

 

IV

C’est dans la période de la quatrième lune que Kimiko fut conduite à la maison préparée pour elle, — un lieu dans lequel oublier toutes les réalités déplaisantes de la vie, — une sorte de palais de conte de fées perdu dans le repos enchanteur de jardins ombragés et silencieux clos par de hauts murs. Là, elle aurait pu éprouver comme une renaissance, en raison de bonnes actions, dans le royaume de Hôrai. Mais le printemps passa, et l’été vint, — et Kimiko resta simplement Kimiko. Par trois fois elle avait su, pour des raisons inexprimées, faire reporter le jour du mariage.

Dans la période de la huitième lune, Kimiko cessa de jouer, et donna ses raisons très doucement mais très fermement : — « Il est temps que je dise ce que j’ai longtemps différé de dire. Pour l’amour de la mère qui m’a donné la vie, et pour l’amour de ma petite sœur, j’ai vécu en enfer. Tout cela est du passé ; mais la brûlure du feu est sur moi, et il n’y a aucun pouvoir capable de la repousser. Il n’appartient pas à quelqu’un comme moi d’entrer dans une famille honorée, — ni de vous donner un fils, — ni de bâtir votre foyer. . . . Souffrez que je parle ; car dans la connaissance du mal, je suis beaucoup, beaucoup plus avisée que vous. . . . Jamais je ne serai votre femme pour devenir votre honte. Je suis seulement votre compagne, votre camarade de jeu, votre invitée d’une heure, — et ceci non pour des cadeaux. Quand je devrai ne plus être avec vous — non ! certainement ce jour doit venir ! — vous aurez une vision plus claire. Je vais encore vous être chère, mais pas de la même manière qu’aujourd’hui — qui est une folie. Vous vous rappelerez ces mots venus de mon cœur. Une vraie dame, douce, sera choisie pour vous, pour devenir la mère de vos enfants. Je les verrai ; mais la place d’une épouse, je ne la prendrai jamais, et la joie d’une mère, je ne dois jamais la connaître. Je ne suis que votre folie, mon bien-aimé, — une illusion, un rêve, une ombre fugitive dans votre vie. Je pourrais devenir un peu plus à l’avenir, mais une épouse pour vous jamais — ni dans cette existence, ni dans la prochaine. Demandez-le moi de nouveau — et je m’en vais. »

 

Dans la période de la dixième lune, et sans aucune raison imaginable, Kimiko disparut, — s’évanouit, — cessa tout à fait d’exister.

 

V

Personne ne sut quand ni comment ni où elle était partie. Même dans le voisinage de la maison qu’elle avait quittée, personne ne l’avait vue passer. Au début, il semblait qu’elle dût bientôt revenir. De toutes les choses belles et précieuses — ses robes, ses parures, ses cadeaux : une fortune en soi — elle n’avait rien pris. Mais les semaines passèrent sans un mot ou un signe ; et l’on craignit que quelque chose de terrible ne lui fût arrivé. Les rivières furent draînées et les puits fouillés. Des enquêtes furent faites par télégramme et par lettre. Des serviteurs de confiance furent envoyés à sa recherche. Des récompenses furent offertes pour toute information — en particulier une récompense à Kimika, qui était très attachée à la jeune fille, et aurait été trop heureuse de la retrouver sans aucune récompense du tout. Mais le mystère demeura un mystère. Des demandes aux autorités auraient été inutiles : la fugitive n’avait fait aucun mal, enfreint aucune loi ; et l’énorme machinerie du système impérial de la police ne devait pas être mise en mouvement pour la fantaisie passionnée d’un garçon. Les mois devinrent des années ; mais ni Kimika, ni la petite sœur à Kyôto, ni l’une quelconque des milliers de personnes qui avaient connu et admiré la belle danseuse, ne revirent jamais Kimiko.

Mais ce qu’elle avait prédit se réalisa ; — car le temps sèche toutes les larmes et apaise toutes les nostalgies ; et même au Japon on ne cherche pas vraiment à mourir deux fois pour le même désespoir. L’amant de Kimiko devint plus sage ; et on lui trouva une personne très douce pour épouse, qui lui donna un fils. Et d’autres années passèrent ; et il y eut du bonheur dans la maison de contes de fées où Kimiko avait jadis été.

Il vint à cette maison un matin, comme en quête d’aumônes, une nonne itinérante ; et l’enfant, en entendant son cri bouddhiste « Ha—ï ! ha—ï ! », courut à la porte. Et bientôt une servante de maison, apportant au dehors le cadeau de riz coutumier, s’étonna de voir une nonne câliner l’enfant, et lui parler à voix basse. Alors le petit cria à la servante, « Laissez-moi le donner ! » — Et la religieuse plaida sous le voile d’ombre de son grand chapeau de paille : « Veuillez permettre à l’enfant de me le donner. » Alors le garçon mit le riz dans le bol de la mendiante. Puis elle le remercia et lui demanda : — « Maintenant, direz-vous de nouveau pour moi le petit mot que je vous ai prié de dire à votre honoré père ? » Et l’enfant zézaya : — « Père, une personne que vous ne reverrez jamais en ce monde, dit que son cœur est joyeux parce qu’elle a vu votre fils. »

La religieuse rit doucement, et le câlina de nouveau, et disparut promptement ; et la servante fut plus que jamais étonnée quand l’enfant courut dire à son père les paroles de la mendiante.

Mais les yeux du père se brouillèrent en entendant ces mots, et il pleura au-dessus de son garçon. Car lui, et lui seul, sut qui avait été à la porte, — et le caractère sacrificiel de tout ce qui avait été caché.

 

Maintenant, il pense beaucoup, mais il ne dit sa pensée à personne.

Il sait que l’espace entre deux soleils est moindre que l’espace entre lui et la femme qui l’aimait.

Il sait qu’il serait vain de demander dans quelle ville retirée, dans quel fantastique dédale d’étroites ruelles sans nom, dans quel obscur petit temple connu seulement des plus pauvres parmi les pauvres, elle attend les ténèbres qui précèdent l’Aube de l’Incommensurable Lumière, — quand la Face de l’Enseigneur posera sur elle son sourire, — lorsque la Voix de l’Enseigneur lui dira, avec des tons d’une douceur plus profonde que celle qui vînt jamais aux lèvres d’un amant humain : — « Ô ma fille dans la Loi, tu as pratiqué la voie parfaite ; tu as cru la vérité suprême et l’a comprise ; — aussi, je viens maintenant à ta rencontre pour t’accueillir ! "


NOTES :

(1) « Vouloir être oubliée par le bien-aimé est pour l’âme une tâche beaucoup plus difficile que d’essayer de ne pas l’oublier. » — Poème de Kimiko.

[2] Oni mo jiuhachi, azami no hana. Il y a dicton similaire à propos d’un dragon : ja mo hatachi (« même un dragon à vingt ans »).

[3] (Note de Happy) Le Meido est le monde des morts. Il est possible que l’homme en question, sachant qu’il ne pourrait jamais posséder Kimiko pour lui tout seul, ait essayé de l’entraîner avec lui dans la mort en empoisonnant le vin.


happy   dans   Nippon    Mardi 8 Septembre 2009, 06:29

 



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