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122 Zhuang Zi — Nei Pian — Chapitre 3
Les Tablettes Intérieures

ZHUANG ZI — 莊子

LES TABLETTES INTÉRIEURES — 内篇


Troisième chapitre
PRINCIPES POUR NOURRIR LA VIE
卷二上 第三 養生主

<— Chapitre 2. Sommaire Chapitre 4. —>

 

3.1

La vie du moi universel, contrairement au savoir, a ses limites. Quand ce qui est limité poursuit ce qui ne l’est pas, surgit le danger. Ainsi le savoir est mis en péril. Afin de ne pas aller, si l’on excelle, au devant du nom, et, si l’on se livre à l’exécrable, au devant du supplice, que l’on prenne pour conduit principal le canal régulateur. Entretenir le corps, conserver la vie, nourrir l’intime et parachever les ans sont alors possibles.

 

3.2

Le cuisinier Ding dépeçait un bœuf pour le prince Wen Hui. Là où sa main palpait, où son épaule repoussait, où son pied se posait, où son genou pressait, les chairs et les os se séparaient avec un bruit remarquable. Son couteau avançait en musique, il obéissait à un tel rythme que l’on eût dit la danse de la Forêt des Mûriers et la cadence du Tracé Modèle. Le prince Wen Hui s’exclama : Bigre ! Quelle excellence ! Comment êtes-vous parvenu à un tel savoir-faire ?

Le cuisinier Ding reposant son couteau dit : Ce qu’aime votre serviteur, c’est la Voie. Ainsi a-t-il progressé dans le savoir-faire. Au début quand il dépeçait un bœuf, il ne pouvait s’empêcher de considérer celui-ci comme une entité compacte. Au bout de trois ans, cette façon de le regarder cessa. Aujourd’hui votre serviteur grâce à son influx s’accorde et ne se sert plus des yeux pour voir ; il ne tient plus compte de ce qui lui est transmis par les organes des sens, c’est l’influx seul qui le conduit dans son action. Se fondant sur les scissures du ciel, il décèle les grandes lignes de séparation, dirige son couteau dans les articulations ; en suivant les conformations il ne rencontre plus le moindre obstacle parmi les veines, les artères, les tendons et les nerfs, à plus forte raison parmi les gros os ! Un cuisinier habile remplace son couteau chaque année à force de trancher, un cuisinier ordinaire en change à chaque lunaison à force de fracturer. Le couteau de votre serviteur a aujourd’hui dix-neuf ans, il a dépecé quelques milliers de bœufs et sa lame est encore neuve, il semble qu’elle vienne d’être passée à l’affiloir. Comme les articulations d’un bœuf possèdent un insterstice et que cette lame est l’absence d’épaisseur même, lorsqu’elle y pénètre, vaste est le lieu où elle voyage ; à l’évidence c’est le vide. Voilà pourquoi après dix-neuf ans elle est comme neuve et qu’il semble qu’elle vienne d’être passée à l’affiloir. Néanmoins, chaque fois qu’elle va ainsi vers l’ensemble constitué, le moi universel que je suis estime la difficulté, la crainte le tient en éveil ; le regard fixe, il avance avec une lenteur extrême. À peine le couteau a-t-il bougé que pfuitt ! il est déjà en train de dépecer, et le bœuf n’a pas eu le temps de se rendre compte qu’il allait être tué qu’il se retrouve en morceaux comme mottes de terre éparses sur le sol. Le couteau toujours à la main, je me redresse, tourne la tête vers les quatre orients ; heureux et savourant la plénitude, je le traite en ami avant de le serrer dans sa cache.

Le prince Wen Hui ajouta : Excellent ! Mon moi universel a entendu la parole de Ding le cuisinier, je vais pouvoir enfin nourrir ma vie.

 

3.3

3.3.1

Gong Wen Xuan rencontrant le maître de Droite en fut alerté et se demanda : Quel homme à l’évidence est-ce là ? Pourquoi n’a-t-il qu’un pied ? Est-ce la faveur du ciel ou celle des hommes ?

Il fournit lui-même la réponse : C’est un don du ciel et non des hommes. C’est le ciel qui a donné vie au pied unique, l’apparence humaine n’est qu’attribuée. Voilà pourquoi je sais que c’est là un don du ciel et non de l’homme.

3.3.2

Le faisan des marais tous les dix pas picore, tous les cent pas boit ; comme il ne cherche nullement à être nourri en cage, si jamais il s’y trouve enfermé, son influx bien que lançant des flammes, montre qu’il n’apprécie guère la chose.

3.3.3

Lao Dan étant décédé, Qin Yi vint saluer sa dépouille. Il cria trois fois et sortit. Un disciple l’interrogea : N’étiez-vous pas un ami du maître ?

— Évidemment, répondit-il.

— Est-ce si évident que cela ? Croyez-vous qu’il soit possible de le saluer de cette manière ?

— C’est évident ! À l’origine le moi universel que je suis pensait qu’il avait atteint la perfection, mais maintenant c’est différent. Tout à l’heure quand le moi universel que je suis est entré le saluer, vieux et jeunes étaient en train de le pleurer, les uns comme leur propre fils et les autres comme leur propre mère. Les uns et les autres réunis en de telles circonstances, quand il ne faut pas soupirer, soupirent, quand il ne faut pas sangloter, sanglotent. C’est manifestement là, se dérober au ciel, tourner le dos aux faits et oublier ce que l’on a reçu. Les anciens nommaient cela : le supplice du ciel caché. Quand il fallut qu’il vînt, le maître vint : quand il convint qu’il s’en allât, le maître s’y conforma. Si l’on s’accorde avec le temps et que l’on séjourne en conformité, ni tristesse ni joie n’ont la force de pénétrer. Les anciens appelaient cela : détaché de ses liens entrer en lévitation par l’action de la Déhiscence.

3.3.4

Lorsque le brasier indique qu’il va s’éteindre, la flamme se porte ailleurs, ainsi ne connaît-elle pas de fin.

<— Chapitre 2. Sommaire Chapitre 4. —>

 


REMARQUES SUR CERTAINS ÊTRES ET CERTAINES CHOSES CONFORMÉMENT À LEUR ORDRE D’APPARITION DANS LES TABLETTES INTÉRIEURES

Wen Hui. Wang Mao Hong, le commentateur, prétend qu’on ne peut réellement savoir s’il s’agit du souverain Hui de Liang, aussi appelé Wei de Liang dont Hui Shi, l’ami de Zhuang Zhou, fut le ministre.

Gong Wen Xuan. Son nom de clan est Gong Wen, son nom personnel Xuan. Il est originaire de Song. C’est tout ce qu’on connaît de lui, remarque SiMa Biao.

Le maître de Droite. Titre de fonctionnaire.

Lao Dan. Originaire du district de Lai au royaume de Chu, son nom de clan est Li, son nom personnel Er et son nom public Dan. Er Dan peut également signifier Longues Oreilles. Il fut archiviste à la cour royale des Zhou, reçut la visite de Maître Kong, à quelque temps de là s’en alla vers le pays de Qin. Parvenu à la passe Xian Gu, il rédigea pour Yin Xi, le gardien de la passe, le Tracé de la Voie et de la Vertu. Puis, il continua vers l’ouest ; depuis, personne ne sait ce qu’il advint de lui. C’est du moins ce que rapporte SiMa Qian. On voit donc que les Tablettes intérieures contredisent la version donnée par l’historien des Han. Lao Dan fut-il Lao Zi ? Peut-être y a-t-il confusion entre nom propre et nom commun. En ce cas rien n’empêcherait d’affirmer que Lao Dan fut un lao zi, c’est-à-dire un sage qui, arrivé à l’âge de soixante-dix ans ou âge de la mutation, a réussi à effectuer le retour en soi en suscitant au-dedans de lui-même l’embryon. L’anecdote produite par l’auteur des Tablettes intérieures laisse entendre le contraire. Lao Dan est bien mort, son cadavre est là qui l’atteste : il n’a pas su effacer ses traces ; il ne s’est pas fondu dans le flux universel, son nom le retient encore du côté de la présence puisque jeunes et vieux pleurent son individu.

Qin Yi. Ami de Lao Dan, sans doute une invention de notre auteur.



happy   dans   ZhuangZi    Mardi 17 Mai 2005, 22:32

 



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