Le Trésor des Contes
Le chasseur de la nuit
Il y avait une fois une de ces endiablées... Toute hardiesse, parce que toute jeunesse : une drôlette. C’est beau de n’avoir jamais peur ; mais, est-ce beau de n’avoir grande idée sur rien ?
Enfin, elle le vit. Non qu’on le voie tellement. D’abord, on ne le voit que de nuit. Une ombre, en action de chasse, comme disent les procès-verbaux des gendarmes. Cette ombre suit le bord du bois, à grands pas suspendus, inspectant de droite, de gauche ; puis elle se plante, le fusil de biais au creux du coude, haussant la tête, toujours, pour mieux quêter d’ici, de là... Puis elle repart... Puis tout à coup pète le coup de fusil...
Et cette fille, cette gamine, eut le front de contrefaire le chasseur de la nuit : levant le nez, et balançant la tête comme pour passer le regard entre les troncs, puis faisant mine de repartir, d’aller en quête...
Elle n’alla pas plus loin : le camouflet lui arriva sur la joue, une gifle dont toute sa vie elle porta la marque. — Une gifle de ce chasseur peut marquer ! Il y a un endroit dans le bois : il y a laissé d’autres marques, celle d’une crosse de fusil et à côté d’un grand pied d’homme : c’est gravé en creux et dans la roche : un dos de pierre grise au milieu des fougères.
Dans ces mêmes parages de grande herbe, de brandes et de branches, — c’en est tout étouffé, là où le chemin tourne, — un homme qui voyageait, soudainement l’a trouvé devant soi.
Cet homme a su n’avoir pas peur : mais il a su aussi avoir de la chose une idée grande, une idée de respect.
« De la part de Dieu, que veux-tu ?
— Le jour pour toi, la nuit pour moi ! » lui a dit seulement l’autre, le chasseur de la nuit.
Et il a passé.
La nuit, elle est aux morts, et à ceux de la nuit.
Le prêtre des bois
Il y avait une fois un homme, un paysan, qui seul et de son pied allait à la foire.
Ce devait être sur les trois heures, quatre heures — il faisait encore nuit. Et ce devait être plus loin qu’Arlanc : vers Mayres ou Saint-Sauveur, peut-être Saint-Victor : un pays de ravins, de peurs, d’auberges sanglantes.
Arriva que des fougères, — vous savez qu’elles s’enchevêtrent, — lui prirent le pied, que les cordons de ses souliers se défirent. Il s’arrêta, il les renoua. Et tout d’un coup en relevant la tête, il vit un prêtre devant lui.
Il le salua. Il lui parla. Ce prêtre ne répondit rien.
Le paysan reprit son pas. Le prêtre, lui, s’était déjà remis en marche.
« Attendez-moi, monsieur l’abbé, nous ferons route ensemble. »
En pays si sauvage, on aime d’ordinaire un peu de compagnie. Il y avait de la lune, mais sur ce chemin-là les branchages faisaient noir. Dans cette ombre entamée de quelques rais passant, le prêtre allait devant. « Il est peut-être sourd : rattrape-le sans plus rien dire. »
Le paysan avance donc le pas. Le prêtre de même. Le paysan presse l’allure : le prêtre davantage.
À la fin... « Ha, quand le diable y serait nous verrons ! » Le paysan se lance à courir. Voilà le prêtre à courir aussi.
Une vraie poursuite, au milieu de ces bois tout déserts sous la lune. Une poursuite, une frénésie. Le paysan courait de rage, comme envoûté. Et le prêtre, sans plus regarder au chemin ni à rien, filait sous le couvert plus vite que le vent. On ne le voyait même pas courir. On eût dit que le vent l’emportait...
Tout à coup, il y eut devant eux un précipice. Sans même marquer le moindre arrêt, le prêtre s’y lance, y disparaît comme si la nuit l’avait bu...
Juste au bord le paysan s’arrête. Tremblant, se rattrapant d’une main à un arbre. Regardant de tous ses yeux cette plongée de rochers ! C’était forcé, forcé, qu’on se tue, dans ce précipice. Il regardait, mouillé d’une suée froide, les jambes en coton. Les roches de l’à-pic et le gravier d’en bas, tout se voyait, au blanc de la lune. Un chien ne s’y serait pas caché. Et là, au fond, personne. S’il y avait eu quelqu’un, lui ne pouvait manquer de le voir : il n’y avait rien...
Au jour, il y retourna, — il avait bien remarqué l’endroit, — de nouveau il regarda tout ; et il se dit : « Ça ne se peut pas, ça ne se peut pas... »
Il n’aimait pas conter l’affaire. Mais quand on le mettait là-dessus : « Je ne revenais pas de la foire, j’y allais. Et à quatre heures du matin je n’avais pas traîné dans les auberges... Je sais ce que j’ai vu... »
En fin de compte, l’histoire vaut qu’on y croie, de biais ou de droit fil. Du fond de la nuit se lève une idée noire ; tout de suite elle t’obsède : tu ne vois plus qu’elle et tu pars derrière elle comme un déraisonné, si bien qu’elle saura peut-être te faire faire le saut dans quelque précipice...
Mais si toi, tu t’arrêtes, que tu la regardes au jour, tu n’as plus rien devant toi.
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