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hétéroclite, écoute le temps, la tête dans les étoiles, les pieds par dessus

 

 




74 Rencontre avec la vie
Paris, France, janvier 1989

Janvier 1989, fin d’un boulot où j’allais à reculons, premiers jours de chômage.

Il fait frais, cette matinée-là, aux alentours de 0 degré, pas trop de vent. Je me promène dans Paris, je goûte ma liberté nouvelle, le temps que je n’ai plus à voler à la boîte où je ne travaille plus.

Je suis Place de la Concorde, au début de la rue de Rivoli. Je marche les mains dans les poches, empreint du sentiment bizarre d’être en convalescence.

— Monsieur, est-ce que vous voulez bien m’offrir un café ?

Je sursaute, tourne la tête, et regarde l’homme qui m’a interpellé.

C’est un homme âgé, je vois la peau rosâtre de son crâne à travers ses cheveux blancs clairsemés, son visage à la barbe drue, de deux ou trois jours. Il est vêtu d’une robe de chambre, d’où dépasse le pantalon d’un pyjama clair, ses pieds sont nus dans des chaussons.

— Qu’est-ce qui vous arrive, Monsieur ?

— J’ai 80 ans. J’habitais avec ma fille, mais elle vient de mourir, et on m’a mis dehors.

Je ne sais pas s’il dit vrai, ou s’il a perdu la tête, ou... que sais-je encore.

Je ne lui ai pas offert le café qu’il me demandait, je lui ai seulement donné l’argent pour qu’il puisse se le payer. J’avais honte à l’idée de m’afficher avec lui.

Je ne sais pas comment je l’ai quitté.

J’étais paumé, sous le choc de cette rencontre, le cœur défait, l’âme foudroyée. Je pensais à mes grands-parents, que j’avais tant aimés, je les voyais à la place de cet homme. Un cri de chagrin, d’horreur, de rage est monté en moi, je me suis tendu pour qu’il n’éclate pas au-dehors.

J’ai compris que de ce jour, je ne pourrais plus vivre comme avant, absorbé par le quotidien, absent à la vie d’ici même. De ce jour, une révolte sourd en moi, un refus définitif de la cécité volontaire ou imposée.

Mes douleurs et souffrances propres m’ont paru bien dérisoires, bien encombrantes. Mes peurs aussi.

J’ai pris la mesure de mon impuissance. Mais j’ai compris que jusqu’à ce jour, j’avais vécu une vie infirme, et que c’est le sentiment de vivre ainsi qui, inconsciemment, n’avait cessé de m’inciter à rejeter l’abrutissement facile de ma vie d’humain quelconque, stupide, insipide, fuyard.

J’ai compris que la souffrance jalonnerait ma route, pas ma souffrance, mais celle de mes compagnons, et que je serais leur témoin tout au long de ma vie.

Je ne pourrai plus désormais refermer mes yeux, ni mon cœur, ni mon âme, jamais plus je ne vivrai mort.

(18/01/2005) Je ne suis pas seul à en témoigner :
Le droit de coucher dans la rue.
Le SDF, l’uniforme et le paquet de cigarettes.


happy   dans   Assauts    Lundi 1 Novembre 2004, 23:49

 


 


d ’ é c h o   e n   é c h o s

 

tgtg
tgtg
02-11-04
à 00:04

1  un beau titre

qui dit bien ce qu'il veut dire...

rencontre avec la vie!!!
:-)

Marggie
Marggie
02-11-04
à 23:13

2  

Jamais plus je ne vivrai mort : c'est beau et bien de saison.

PierreDesiles
PierreDesiles
08-11-04
à 11:16

3  Un monde à deux vitesses!

J'ai déjà rencontré ces situations extrêmes, où la marge de l'impossible a été franchie, où  cela ressemble à un avertissement d'une éventuelle possibilité d'avenir pour soi même.

Tout ne tient qu'à un fil et il suffit de peu de chose pour basculer "hors normes". C'est vrai que cela remet les pendules à l'heure et qu'on arrête de se plaindre sur son sort qui parait, tout d'un coup, un refuge bien confortable.

Mon dernier voyage en Inde a été le plus frappant et tu verras quand je vais mettre des photos de personnes qui se traînent pour mendier, la vie en rose tombe d'elle même.

Je me dis souvent "Chaque jour on se demande ce qu'on va faire à manger, quand des millions d'autres se demandent chaque jour s'il vont manger" et qu'au 21è siècle on puisse encore mourir de faim, quand d'autres meurent de trop manger et quand d'autres empilent des sommes colossales et n'hésitent pas à les étaler! ...pour leurs plaisirs...!

Bravo pour ton texte Happy ;o)


Happy
Happy
08-11-04
à 13:12

4  Re: Un monde à deux vitesses!

Je me disais bien que tu n'avais pas pu ne pas voir l'autre réalité de l'Inde. Forcément, ça nous hante, n'est-ce pas ?
En voyant le Taj Mahal, en apprenant le nombre d'ouvriers qui y avaient travaillé (et qui de ce fait avaient pu avoir de quoi vivre - mais comment se fait-il qu'ils n'avaient pas de quoi vivre chez un homme immensément riche ?), le monument a pris d'un coup une dimension humaine, et tout ce qu'on aime cacher est ressorti : y a-t-il une seule oeuvre grandiose au monde qui n'ait pas coûté de la sueur et du sang, pas à celui à qui on l'attribue, mais à ceux qui l'ont construite ?
Le Taj Mahal, les Pyramides, Versailles, la Grande Muraille... : toutes ces beautés, je n'arrive plus à les regarder pour elles-mêmes,  je ressens au fond de mon coeur une déchirure irréparable, je pense immanquablement à la vie des hommes qui les ont construites, au travail forcé, direct (on vient te chercher avec le fouet...) ou indirect (on te coupe les vivres, on saccage tes récoltes...) : je pense à mes ancêtres, proches ou lointains, qui ont dû vivre de telles affres eux-aussi.
Paradoxalement, ces "beautés" sont bien une mémoire : celle de notre condition humaine livrée à l'insatiable cupidité et à la cruauté sans limite. Elles ne rachètent pas le sang versé.
 
Tu commentais mon post sur le Dalaï-Lama, fort justement en disant que c'est l'arrivant qui doit s'adapter à la coutume du lieu.
Cela a été dit et redit, mais jamais beaucoup pratiqué (sauf dans l'histoire de la Chine où l'on voit les barbares du nord nouveaux envahisseurs adopter les coutumes du pays envahi) : le colonialisme se fonde justement sur le contraire, c'est le colonisé qui doit s'adapter, je veux dire qui doit subir.
C'est aujourd'hui ce que poursuit le libéralisme et ses intruments "civilisateurs" : Mc Do, Coca-Cola, Ikea, Carrefour, Total...
Notre "vie aisée" ne nous est pas tombée du ciel comme une récompense, elle repose bien sur l'appauvrissement mortel délibéré de la face cachée de la Terre.
 
Difficile de rester attaché à ce monde.
Moi aussi, je me pose la question de savoir quelle attitude adopter : me battre, ou plonger la tête dans le sable, mais même dans ce dernier cas, la déchirure persistera, et elle me semble moins douloureuse si je refuse d'abandonner, quelle que soit mon impuissance.
Je n'ai pas d'enfants, et n'en aurai pas. Basta !
 
Je me moquerais éperdument des sommes colossales gagnées par certains (c'est le comble du ridicule, n'est-ce pas ?), si tout le monde avait de quoi vivre décemment, ou de quoi vivre tout simplement. C'est la misère qui rend la richesse insupportable.
Les Romains étaient moins idiots, somme toute : ils gagnaient la paix sociale par "panem et circenses", "le pain et les jeux du cirque". Les jeux du cirque, on les a, ils ont même gagné la politique. Mais nos politiques ont oublié le pain. Cet oubli finira par leur coûter cher, et il continue de faire verser beaucoup de sang.
 
Ça me fait penser à cette vieille histoire orientale, histoire-enseignement chez les mystiques musulmans.
Un homme avait un âne qui, trouvait-il, lui revenait cher. Il décide donc qu'il va progressivement lui diminuer sa nourriture, de jour en jour. Au bout d'un certain temps, l'âne meurt. Pas de chance, dit le bonhomme, j'étais presque arrivé au point où j'aurais pu le faire vivre sans rien lui donner à manger...
 
Bon, j'apprécie néanmoins les beautés que tu nous montres : je crois qu'elles auraient pu exister sans qu'il ait été besoin de payer le prix qu'elles ont coûté, si seulement on avait voulu donner aux ouvriers les moyens de s'en réjouir et de les apprécier : car quel bonheur ce serait pour un homme libre de participer à la création de telles beautés.
 
A plus. Philippe.

PierreDesiles
PierreDesiles
08-11-04
à 20:35

5  Re: Re: Un monde à deux vitesses!

Il se trouve qu'avant on mourait dans l'anonymat, maintenant on nous sert les morts à l'heure du dîner et parfois en direct comme un mauvais reality show!

""me battre, ou plonger la tête dans le sable,"" je pensais que tu avais lu l'article d'ImpasseSud "Il fallait s’y attendre ! " où on se posait la même question.

En Inde, oui, j'ai vu la pauvreté, oui j'ai ressenti le même désarroi que toi face à la misère,oui j'étais révolté, oui j'ai eut les larmes aux yeux par un sentiment d'impuissance, face aux opprimés de toutes sortes, mais je voulais croire à un monde meilleur en voyant ce peuple qui sort un peu la tête hors de la fatalité aux causes multiples. C'est pourquoi, je n'hésite pas un instant à parler de ces travailleurs et de les montrer parfois.

Je suis un soixante-huitard et tout m'exaspère, car les solutions sont toujours génératrices d'autres causes. C'est l'éternelle lutte entre le bien et le mal!

Que dire, que faire dans un monde qui va doucement mais sûrement à sa perte sauf si un jour l'homme découvre une autre planète vivable(on peut toujours rêver). C'est vrai que la religion peut aider si elle ne profite pas à certains malveillants. J'avoue que ma croyance se renforce au fil des années et que ja me pose de plus en plus de questions sur d'éventuelles autres missions, après ce cours passage ici bas. Les évènements me paraissent de plus en plus clairs et plus rien ne m'étonne désormais.

Quand je vois ce qui se passe, la vieil adage reprend du service:"On récolte ce qu'on sème" ....alors il y en a qui ont beaucoup semé!

excuse mon écriture pêle mêle, mais j'écris le fil de mes pensées...

à bientôt, Happy ;o)


Oeil-de-nuit
Oeil-de-nuit
12-11-04
à 23:42

6  

j'ai lu ton article il y a quelques temps déjà, et je ne savais que dire.
mais les récents évènements en côte d'ivoire m'ont rappellés les années que j'ai passé là bas. Des brides d'images et de souvenirs me sont revenus. Je revois ces enfants nus, cherchant de quoi se nourrir dans les ordures, et qui le soir se couchaient sur le trottoir pour dormir... et je pourrais en citer d'autres. Mais je ne vois plus ces souvenirs avec le regard de l'enfant que j'étais à ce moment, les choses sont maintenant bien différentes! Et je crois que ce que je ressens maintenant rejoins ce que tu as éprouvé face à cet homme, face à cette réalité cachée...

Grozoubis, Oeil de nuit


Happy
Happy
13-11-04
à 00:54

7  Re:

Oui, voir le monde tel qu'il est demande seulement d'avoir les yeux ouverts, et rien de plus.
Les théories et les discours sont là pour nous les fermer.
C'est aujourd'hui que nous sommes vivants, et pas dans un avenir radieux.

BubbleGum
BubbleGum
16-11-04
à 23:05

8  

Je repasse ici par hasard...
Ca fait longtemps, ça a changé. Longtemps déjà que les cours m'ont forcé à abandonné mes promenades nocturnes sur les blogs, me bouffant une grande partie de mon temps...
Et aujourd'hui, c'est au hasard d'un lien que je repasse, parce qu'en voyant "happy", je me suis sentie comme irrésistiblement attirée, malgré l'heure tardive qui voudrait que je sois déjà au lit étant donné que je me lève tôt, et le boulot qu'il me reste à terminer...

Enfin, je suis là, et contente d'y être, de retrouver ta façon d'écrire que j'aime toujours autant...

Une rencontre avec la vie, c'est une chance, non?

Bonne nuit

Bubblegum

Dieu
22-11-04
à 11:03

9  Re:

Tout à fait d'accord avec toi, bubblegum. Une rencontre avec la vie est une chance, alors mieux vaut se débrouiller pour être en paix avec sa conscience en se posant la question suivante: "le monde serait-il meilleur si chaque personne agissait comme moi?" . Si la réponse est oui, alors on peut vivre pleinement sans culpabilité à deux balles, car après, on retombe dans le néant...Alors, j'invite chacun d'entre vous à ne pas trop se prendre la tête pour des problèmes contre lesquels il ne peut pas grand chose!
Salut!!



Quau canto,
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D’ici et d’ailleurs Qui chante son mal,
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